Pirzade Vilayat naquit à Londres le 19 juin 1916, de Pirani Ameena Begum et d’Hazrat Inayat Khan. Dès l’âge de six ans il grandit à Fazal Manzil, Suresnes, avec sa soeur ainée Pirzadi Noor-un-nisa, et ses frères et soeurs cadets, Murshidzade Hydayat et Murshidazade Khair-un-nisa.
La vie à Suresnes tournait autour de la fascinante personnalité d’Hazrat Inayat Khan. Mais en 1926 Murshid parut lointain et la famille fut saisie d’un pressentiment. En désignant ses chaussures Murshid dit un jour à son fils «Vous devez suivre les traces de mes pas.» C’est en septembre de la même année que Murshid partit. Lorsque les nouvelles arrivèrent de l’Inde que Murshid était décédé, Ameena Begum s’effondra et ne se remit jamais totalement.
Pourtant désireux de terminer ses études académiques, sa mère étant souffrante et à court de ressources, il prit un emploi au bureau du Haut Commissariat de Londres, et plus tard à l’Ambassade du Pakistan où il assuma pendant un certain temps la fonction de secrétaire personnel de Ghulam Mohammed, le ministre des finances du Pakistan.
Suivant le conseil de leur mère, Noor, Vilayat, Hidayat et Khair-un-Nisa (désormais connue sous le nom de Claire) entreprirent des études de musique à l’Ecole Normale de Paris. Vilayat étudia le violoncelle avec Maurice Eisenberg. Pendant les leçons qui s’étaient données l’été à Vicente en Espagne, Vilayat eut le rare privilège d’écouter Pablo Casals jouer dans sa villa de bord de mer.
A l’âge de ses dix huit ans, Vilayat décida d’étudier la philosophie. Alternant entre Paris et Oxford, il étudia le Soufisme avec Louis Massignon et suivit les cours de psychologie de H.H. Price.
En 1940 l’Europe fut à nouveau en guerre. Ameena Begum, Noor, Vilayat et Claire partirent ensemble pour Londres. Ameena Begum et Claire s’engagèrent comme infirmières. Noor rejoignit la WAAF et fut recrutée par le SOE, avec des conséquences héroïques et tragiques. Vilayat rejoignit la Royal Air Force et ensuite la Royal Navy. Vilayat (nom de guerre Victor) servit comme officier démineur sur une escadrille de vedettes motorisées chargées de dégager les voies aux Alliés débarquant sur les côtes de France, de Belgique, de Hollande et de Norvège. Ces opérations se déroulaient sous un feu incessant. Un jour le bateau de Vilayat fut coulé et ce fut seulement de justesse qu’il survécut. Vilayat eut le coeur brisé lorsqu’il découvrit le sort de Noor, sa sœur et son amie la plus chère.
Ameena Begum mourut en 1949, et Vilayat plongea encore une fois dans le chagrin. Entre temps, sa carrière prenait un nouveau tournant. Il devint reporter pour le journal de Karachi Dawn, et affecté au reportage sur le mouvement de l’indépendance algérienne. Ses articles relatant les atrocités du régime colonial attirèrent les foudres du gouvernement français et le rendirent, pour un certain temps, persona non grata en France.
Vilayat entreprit des retraites contemplatives dans des lieux très divers, Montserrat, le Mont Athos, Jérusalem, Shiraz, Ajmer et Gangotri. A Hyderabad, Sayyid Fakhr-ad-Din Jili-Kalimi le guida dans les méthodes spirituelles de la lignée Chishti-Nizami-Kalimi. A sa sortie d’une retraite de quarante jours Pir Fakhr ad-Din l’ordonna Pir, titre confirmé ensuite à Ajmer par Diwan Saulat Husain Chishti.
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Les années suivantes, Pir Vilayat voyagea et donna des conférences de manière intensive, développant l’Ordre et établissant des centres soufis dans de nombreux pays. En 1968, il rencontra Murshid Samuel Lewis, qui affilia son cercle à l’organisation de Pir Vilayat. Les années 1970 furent un temps d’expérimentation spirituelle et sociale, et l’Ordre Soufi attira un grand nombre de jeunes.
En 1975, l’Ordre acheta un ensemble de bâtiments construit par les Shakers au dix huitième siècle à New Lebanon, état de New York. C’est sur ce site que The Abode of the Message fut fondé. Pir Vilayat y installa partiellement sa résidence, avec soixante quinze initiés Soufis et leurs enfants.
L’activité spirituelle de Pir Vilayat a été également intensive en France. Des années 1960 et jusqu’en 2003, il fut un pionnier dans le domaine interreligieux en organisant chaque année, pour la première fois à Paris, des colloques renommés dans les grandes salles de conférences parisiennes, la Domus Medica, l’Unesco, la Faculté d’Assas (où il accueillit le Dalaï Lama en 1982 lors de sa première venue en France), la Sorbonne et (exceptionnellement en l’an 2000) le Sénat, réunissant autour de lui des représentants des grands courants spirituels et religieux, ainsi que des philosophes et des scientifiques. Ces colloques se poursuivirent ensuite, à partir de 1990, dans L’Universel, où chaque représentant religieux était ensuite invité à célébrer dans sa tradition.
Parallèlement il établit chaque été dans les hautes montagnes des Alpes françaises et suisses des grands camps de méditation ouverts aux jeunes chercheurs spirituels de tout les pays, en quête de spiritualité. C’est au cours de ces camps de jeunes qu’il créa et dirigea une chorale, pour chanter notamment La Messe en Si mineur de Jean-Sébastien Bach, dans les églises locales. Cette chorale internationale prit de l’ampleur au cours des années et s’agrandit de ses instruments de musique. Le 30 juin 1996, en hommage à sa sœur Noor-un-Nisa et à tous les déportés, il la transporta au camp de Dachau (Allemagne) pour chanter, sous sa direction La Messe en Si. Elle se produisit ensuite régulièrement dans d’autres pays, toujours dirigée par lui. Pir Vilayat souhaitait ardemment que La Messe en Si soit un jour chantée par cette chorale à Jérusalem, et devienne un symbole de Paix dans le monde, pour le futur.
Sa passion était l’extase spirituelle, comme le rappelle le titre de son dernier ouvrage : Ecstasy beyond Knowing. Il a laissé de nombreux écrits de sa main, entre autres : In Search of the Hidden Treasure – the Conference of Sufis, traduit en français : A la Recherche du Trésor caché – Une conférence de Soufis…
Pir Vilayat menait une vie de voyages incessants, ponctuée de retraites solitaires et de retraites en groupes. Il avait conservé une caverne à Chamonix et les locaux aimaient le surnommer ‘le Vieux de la Montagne’.
Pir Vilayat affirmait que la méditation était une science et comme telle, devait continuellement progresser. Sa propre méthodologie, tout en étant enracinée dans la tradition soufie de son père, s’inspirait du Bouddhisme, du yoga et de l’alchimie, et s’appuyait sur des aperçus de la physique et la biologie.
Il mourut le 17 juin 2004 dans la Salle Orientale de Fazal Manzil. En apprenant la mort de Pir Vilayat, Sa Sainteté le Dalaï Lama écrivit : « J’avais une profonde admiration pour lui. Son départ est une grande perte, particulièrement pour ceux qui non seulement suivent le chemin spirituel, mais qui croient aussi en la tolérance envers les autres traditions religieuses».
Par Chantale Vogele