Il pourrait être utile de dire quelques mots sur la signification du terme « soufisme ». Il faudrait d’abord se rappeler que le soufisme est un néologisme- une invention récente. On peut ajouter que ce n’est pas seulement un néologisme mais un terme inapproprié et ce, parce qu’il contient un « isme » et que ce « isme » subvertit la signification essentielle du mot ; la raison en est que le « isme » évoque toujours une communauté fermée, une idéologie, une doctrine – or le soufisme en son essence n’est rien de tout cela. Donc si l’on veut vraiment savoir ce qu’est le soufisme, il pourrait être utile de revenir au mot arabe originel qui est Tasawwuf. Il n’est pas facile à prononcer mais il contient un sens plus précis parce que c’est un substantif verbal et par conséquent il fait référence à un processus de devenir. Il n’est pas statique mais dynamique. Tasawwuf littéralement veut dire le processus qui consiste à devenir soufi. Ainsi l’on comprend d’emblée qu’il ne s’agit pas d’un club auquel on appartient ou non, mais d’une expérience transformatrice.
Mais alors la question se pose : qu’est-ce qu’un soufi ? Quel est le résultat final de ce processus ? Depuis les temps les plus reculés quand ces mots devinrent courants – Tasawwuf et soufi – les soufis ont apporté leurs réponses à cette interrogation : qu’est-ce qu’un soufi ? Chacune d’elles est différente, chacune est une facette d’une réalité unique qui est la signification d’être soufi. Ces définitions sont comme des koans arabes qui nous aident à nous orienter à un processus dont nous pouvons percevoir de loin le but. Voici quelques citations.
La première est d’un soufi nommé Abu’l-Hasan Bushanji :
« Le soufisme est aujourd’hui un nom sans réalité alors qu’autrefois c’était une réalité sans nom. » Cela fut dit au VIIIème ou au IXème siècle.
Celle-ci est d’Ibn al-Jalla :
« Le soufisme est une essence, une vérité. Il n’a ni forme, ni rituel, ni habitude. Il est essence pure. »
Ces deux phrases vont dans le même sens. Le soufisme était une réalité qui est maintenant devenue une forme, un nom qui n’est plus une réalité. Le véritable soufisme est toujours une réalité qui élude la forme. Il ne peut jamais être contenu dans une forme et il en emprunte d’innombrables pour son expression et sa manifestation. Et cependant son essence demeure secrète, cachée, au-delà de la forme. Les soufis ont toujours reconnu le processus par lequel un secret caché est institutionnalisé et connu du monde à travers une forme, tandis qu’eux-mêmes, en secret, dissimulaient son essence et continuaient ainsi. Cela se passe depuis des générations. Epoque après époque la transmission s’est faite, de personne à personne et de cœur à cœur, sans intermédiaire, toujours de cœur à cœur.
Bien sûr cela ne veut pas dire que les soufis n’ont pas écrit de livres. Les mêmes soufis qui disaient que l’on ne peut mettre des mots sur le soufisme ont écrit des volumes et des volumes d’encyclopédies. Mais quand ils avaient terminé ils savaient que les mots avaient échoué.
Voici maintenant une autre définition, de Abu’l-Hasan al-Nuri, un grand soufi d’autrefois :
« Le soufisme ne consiste pas en rituels ou en formes, ce n’est pas un ensemble de connaissances, de doctrines, d’idées et de théories. C’est une manière impeccable d’être, la manière de l’amoureux en présence du Bien Aimé. »
Vous avez probablement tous remarqué dans votre propre vie que vous vous comportiez différemment selon les personnes avec qui vous êtes. Et en la présence de l’être que vous idéalisez et que vous aimez le plus, en la présence de cet être, vous vous comportez selon le meilleur de vous-même.